Retour à la case départ.


Pas un jour ne s’est écoulé, depuis notre retour, sans que je pense à une autre départ. Sans réel impatience, consciente des tâches à accomplir ici. Avec des doutes parfois, des craintes même. Avec beaucoup d’envie, toujours.

Il y a trois mois, nous reposions Mastok sur sa colline. Retour sous la voute étoilée, retour des lever de soleils à couper le souffle. Et puis le rythme fou à commencé pour aller au bout des projets pour lesquels j’avais semé des graines avant notre départ. Je n’ai pas eu peur, j’y suis allé. Je trouvait les risques nuls, je savais le projet viable, les graines fertiles.

Je ne me suis pas beaucoup trompée, j’ai même été surprise. Et fière d’avoir tenu le cap, d’avoir cru en moi. Un fierté humble, réelle, inspirante.

A notre retour, les locataires nous annonçait leur départ vers un ailleurs joyeux. La maison allait être vide, l’hiver arrivait, le froid et les journées sombres aussi. Plusieurs fois, je suis rentrée au soir, retrouvant ma petite tribu engoncée dans le ventre pourtant chaleureux de notre Mastok bien aimé.

J’ai proposé que nous prenions la maison comme hôtel, nous pourrions même envisagé d’inviter notre famille pour partager les fêtes. Car à être immobiles, les paysages exotiques se retrouvent dans les traits des gens qu’on aime. Mais comment les invités si je n’ai nul part où les rangés ?

Alors un matin, j’ai tout fourré dans des sacs, des cabas, des cagettes, et en deux allers retours de Kangoo, nos affaires étaient dans cette maison. Immense. Vide.

Les enfants étaient heureux. Je garde en mémoire les allers retours furieux de mon plus petit, de la cuisine au salon et du salon à la cuisine, saoul de l’espace dans lequel il pouvait alors tester sa foulée. C’est l’image que je veux garder, celle qui justifiait de ne pas passer l’hiver dans ce qui n’est autre qu’un habitat minuscule. En voyage, quel que soit la météo, l’extérieur nous appel, l’espace réduit se justifie, notre jardin est partout, la découverte s’impose. Mais ici, sédentaires, à quoi bon ?

J’ai observé leur plaisir au maximum, plongé mon corps dans un bain chaud, sans réfléchir à la capacité des cuves. Mais sous ma poitrine, j’avais le cœur dans un étau. Avoir programmé, rêvé, planifié, vidé, vendu, rangé, organisé. Tout ça pour ça ? Pour revenir 6 mois après comme si de rien n’était. Impossible. Et la tête surtout, la tête. Qui me gueulait que j’avais loupé un truc, que je ne supporterais pas de voir cette maison se re-remplir et m’éloigner de mon envie de voir autre chose, ailleurs…

J’ai passé deux semaines à ne plus savoir. Ne plus savoir quel serait la suite du dossier « la petite famille à roulettes », ne plus savoir comment j’avais voulu cette maison que j’avais tout fait pour déconstruire. Un flottement étrange et sans doute un peu douloureux.

Le présent s’est chargé de desserrer l’étau, avec finesse et doigté. Il m’a occupé, m’a encrée dans ce que je faisais au moment où je le faisais. Et j’ai eu l’impression d’avoir grandi un peu. De cette sensation cuisante d’échec, je suis passée à la réalité mouvante. Cette morsure c’était uniquement le refus de lâcher quelque chose qui n’avait plus lieu d’être. Comme un serpent qui refuserait la mue et trainerait cette seconde peau, morte, sur son corps filant.

Où était le problème finalement ? Je savais que nous reviendrons, et c’est encore à l’ordre du jour, le projet initial à toujours été de voyager en étoile autour de ce point central où se trouve quelques racines et ces belles portes ouvertes autour du métier que je m’invente.
La maison ? Pourquoi ne pas profiter du vide opéré pour prendre un nouveau départ ? Et garder un point de chute solide et chaud pour les hivers de travail à venir ? De là, pourquoi lutter contre l’idée ? J’ai toujours fabriqué et habité les espaces dans lesquels j’ai vécu. Je ne saurais vivre dans un lieu indifférent. C’est ainsi, je nidifie. Quand nous sommes en voyage, je sais créer n’importe où un salon sauvage à l’aide d’un tapis, trois coussins, une table pliante sur laquelle je jette un foulard ou un joli chiffon. Et tout de suite les enfants sont chez eux, les légo trainent sur la tapis, un livre ou deux aussi…

Quitter la maison, c’était aussi quitter la maintenance et cet immobilisme mortifère contre lequel j’avais du partir en guerre pour que les choses (les travaux se fassent). Mais que tout était lent. J’attendais après un homme qui avait la trouille de toucher ces murs dégoulinants de souvenirs… Et au fil des rencontre de cet hiver, deux femmes ont percuté mes fondations, à l’aide de phrases anodines. C’est aussi moi qui avait laissé faire ce « rien faire ». La clé était là peut être.

J’ai demandé, l’air de rien, un nuancier à la main ; « rouge margot pour la cuisine ? T’en dis quoi ? »

Burin, marteau, rouleau, couches successives, plâtre, enduis…

« Maman, en fait avec les couleurs, ça fait comme un port, avec bâbord dans la cuisine et tribord dans le salon puis le bleu de l’escalier c’est la mer au milieu ».

Comment vous dire que je n’ai pas fait exprès ! Ça semble improbable, et c’est pourtant vrai. J’ai crée un port, un port d’attache, avec des hublots au milieu des murs.
Je ne suis plus fâchée, ni contre moi, ni contre cette maison, qui restera un peu vide mais le luxe de nos retours hivernaux. Et ce n’est pas un échec, c’est la vie, qui parfois décide de n’en faire qu’a sa tête, mais rarement sans raison.

Dans 5 jours exactement, nous reprendrons la route. Départ pour presque trois mois, avec notre premier passage de frontière. Toute la tribu à les pieds qui fourmillent, et moi, j’ai calmé des impatiences qui n’avaient plus rien à faire dans ma vie. C’est le luxe que je m’offre pour 2019 : Prendre les choses et les coeurs comme ils viennent.

Voyage à suivre.

...

Cette photo de Mastok a été prise en Avril 2018, nous venions de passer notre première nuit en son sein, à quelques kilomètres de la maison. J'ai découvert cette image en développant les 5 derniers films faits à l'aide du petit Olympus LT1 qui trainent toujours au fond de mon sac et qui me fait dire que c'est vraiment dans les vieux pots qu'on fait les meilleurs confitures.

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