La danseuse invisible.



Il suffit parfois de changements infimes pour bousculer l'ordinaire. La place d'un meuble. La couleur d'un mur. L'espace désuet entre deux éléments.

Désuet, mais ô combien signifiant. C'est cet espace qui crée la différence. C'est sur lui que se tournent et se retournent les pensées. C'est sur lui que se repose l'imaginaire.

J'admire la constance immobile de certains lieux. Chez-moi, tout semble voué au mouvement. C'est aussi une façon de ne jamais être au même endroit peut-être ?

Il suffit d'une intonation qui chavire, pic, puis revient, pour changer une phrase. N'abordons même pas le sens des mots. Laissons là le sens des maux.

C'est le trait d'un visage qui se plisse, chagrine ou réchauffe une expression. Ce mouvement microscopique qui fait naître l'interprétation sauvage de nos fantasmes.

C'est toutes les phrases que l'on invente entre les mots de celui qui parle. Ce sont celles que l'on construit quand l'autre se tait alors. Elles naissent peut-être simplement de notre envie, de notre besoin. On est parfois bien peu de choses face au silence. 

Et ce silence, notre tête ne pourrait nous l'accorder. Mais il n'en est rien. Quand le verbe se tait, commence le théâtre des pensées. Quel que soit le décors, la pièce semble sans fin. Les tiroirs ne cessent de s'ouvrir. Les rebondissement sont monnaie courante. 

Aucun moyen de faire taire ce vacarme. C'est une condamnation comme une autre.

Où vont-elle toutes ses pensées ? 

Car voilà, si on y pense justement, la pensée n'est pas le fait. Mais bien appuyée, elle y ressemble pourtant comme deux gouttes d'eau. 

Poussez votre armoire, un rien vers la droite, et persuadez-vous que tout ira mieux en ne cessant de ruminer à quel point ce changement conditionne votre vie. Qu'adviendra-t-il ? Comment se créent finalement les vérités qui nous enserrent ?

Il suffit parfois de peu de choses. Il suffit souvent de peu de choses. Elles sont là, invisibles et pourtant si réelles. Tourbillonnantes, valseuses, danseuses endiablées. Elles sont la somme de tout. Une histoire d'histoire, une affaire de contexte, une question de personne. Elles sont indénombrables, bordéliques, aléatoires, obsédantes, sottes, brillantes, tendres, drôles, douloureuses, castratrices, intelligentes, redondantes... 

Il suffit parfois de peu de choses. La résonnance étrange d'un détail qui fait venir sur le devant de la scène la pensée qui résoud tout. La solution à l'impossible équation qui nous étouffait depuis des semaine.

Il suffit parfois de savoir écouter UNE seule pensée et de laisser passer toutes les autres sans les retenir plus que de raison. Valser soudain avec cette cavalière unique. La danseuse invisible qui marque la fin de cette pièce rocambolesque qu'on s'était créée, un jour, naïvement, en pensant que ça n'aurais plus d'importance dans l'instant d'après, dans le meuble qu'on déplace, dans le mur qu'on repeint, dans l'espace désuet qui sépare deux éléments.



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