Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé observer les gens. Les heures de train étaient pour moi une véritable récréation visuelle. Mes plus maigres trajets comptaient, à l'époque, sept heures en moyenne, ce qui me laissait tout le temps de me délecter des gestes des autres.
N'ayant pas de sujet favoris dans cette observation sauvage, j'ai pris le temps de détailler toutes les tranches d'âges que la SNCF mettait sous mon nez... Le train est un moment de latence, une longue attente entre deux morceaux de vie. Et dans cette attente, les personnes âgées ont retenu mon attention.
Du haut de mon adolescence, je bouillonnais de voir les heures passer plus vite, les paysages défiler plus rapidement pour qu'enfin le point B apparaissent. Quand on est enfant, traverser la France à l'aide de n'importe quel moyen de transport semble une éternité. Et j'admirait alors la patience des anciens dans ce genre de situation.
La patience n'est peut être pas mon trait de caractère le plus développé, mais je constate que mes limites deviennent plus extensibles avec l'âge. Et cette sensation par rapport aux vieilles âmes m'est restée. Comme si leur longue existence leur avait appris à apprécier la lenteur de certaines choses.
Alors quand mon compagnon de route était une personne d'un certain âge ou d'un âge certain, je redoublait d'attention dans l'observation de ses gestes. Ces gestes rodés par le temps. Ces gestes qui n'ont plus l'impatience de faire les choses et qui prennent le temps de les faire, simplement. Des gestes auxquels le poids des années ont donné une mesure.
Jamais le trajet ne leur arrachait un soupir. Jamais la consultation de leur montre n'évoquait une fébrilité quelconque.
Moi, j'avais retardé au maximum le réveil au matin pour grappiller du sommeil. Et entre deux correspondances, je courrait au buffet acheter un sandwich dégueulasse que je fourrais dans mon sac, au milieu du bordel embarqué pour détendre mon attente. Alors qu'en face de moi, à l'heure de la restauration salutaire, se déployait sous mes yeux de gamine un repas emballé avec soin, contenant bien autre chose qu'une ridicule tranche de jambon jetée à la va-vite entre deux tranche de pain. Un étalage de boites, de couverts enroulés avec délicatesse dans une serviette de table. Tout avait été prévu, préparé, emballé... Avez vous déjà regardé les anciens sur les airs d'autoroute à l'heure du déjeuner. Quel que soit leur apparence où leur statut, il donnent cette impression d'être chez eux partout. Pour la bonne et simple raison qu'ils prennent le temps de planter le décors et d'y figurer en plein. Est-ce une figure imposée par la lourdeur de l'âge ?
Ce qui m'amène à la question suivante ? Est-ce une donnée proportionnelle ? Est-ce que plus la quantité de vie diminue plus la qualité qu'on lui confère augmente ?
C'est comme ce fichu intérêt que les vieux prêtent à l'histoire. Ils déballent à tous les coins de wagons des magazines qui retracent un passé encore plus ancien qu'eux. Se tournent-ils vers la passé parce que l'avenir est trop juste ? Où ont-il juste le temps et la sagesse nécessaire de comprendre enfin ce qui les a précédés ?
Amoureuse de la lecture que je suis, les magazine sont en revanche une marée d'images plus où moins inspirantes dont le texte accompagnant ne m'atteint pas, ou rarement. Alors tous ces journaux sans images... Ne m'en parlez pas avant mes 60 bougies ! Et bien, non seulement les anciens achètent ces feuilles de choux, mais il les lisent avec application.
Par ailleurs, ils conservent cette cette application à se présenter sous un jour correcte au monde. Les cheveux ordonnés, les mains soignées, la toilette impeccable, la tenue présentable. Car jamais on ne se balade dans le même accoutrement qu'on utilise pour tailler ses rosiers. Je ne suis pas débraillée pour autant, mais chez eux, tout semble toujours plus soigné, respectueux...
Par ailleurs, ils conservent cette cette application à se présenter sous un jour correcte au monde. Les cheveux ordonnés, les mains soignées, la toilette impeccable, la tenue présentable. Car jamais on ne se balade dans le même accoutrement qu'on utilise pour tailler ses rosiers. Je ne suis pas débraillée pour autant, mais chez eux, tout semble toujours plus soigné, respectueux...
Dans cette philanthropique observation me reste quelque chose de l'ordre de la tendresse pour mes prédécesseurs. De la tendresse et beaucoup de respect.
Et aujourd'hui, bien loin de la vieillesse, mais plus tout à fait enfant, je conserve cette juvénile impatience de leur ressembler un peu.
Mais patience...

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire