La douce imprudence.



L'histoire commence autour d'un sapin de Noël. Un membre de ma famille avait émis l'idée de s'offrir un set de couteaux de cuisine. Ayant mes entrées auprès du père-Noël, j'avais mis ça dans un coin de ma tête. 

Le jour du grand déballage approche. Joie, chocolat et crise de foie. Tout le monde est content. Puis quelques mois plus tard, nous revenons rendre visite au détenteur de deux magnifiques couteaux de cuisine suédois. Qui s'applique à honorer notre débarquement d'un bon petit plat. Et sort donc les lames, encore neuves je crois... S'entaille vilainement un doigt, par mégarde. Rien de grave, même pas de quoi recoudre. Mais pas mal de sang et une petite frayeur de l'intéressé. 


Le temps passe. Nous partons, puis revenons. Cette fois, c'est moi qui passe derrière les fourneaux. Le propriétaire des lieux gravite autour de moi, me propose de l'aide, me traîne dans les pâtes. Jusqu'au moment où je pose la main sur les fameux couteaux, à des fins culinaires bien sûr. Sans que je n'ai le temps de comprendre, ça hurle derrière moi, le couteau m'est pris des mains, remis dans son tiroir, et le tiroir aussitôt refermé : "Ne te sert pas de ça, c'est dangereux" (je précise qu'au moment des faits j'avais déjà un peu plus de 9 ans).

Je ne sais pas pourquoi cet événement me revient aujourd'hui en mémoire. Peut être parce que je me suis mise à être choquée par toutes les marques de prudence que trahis le comportement de cette personne. Et de là, je me suis questionnée sur le bien fondé d'un trop plein de prudence.

Dans quelle mesure la peur est elle la continuité de la prudence ? Est-on prudent pour éviter le moment où l'imprudence conduira justement à la peur ?

Si la peur peut facilement être mesurée à l'aide d'une échelle, on pourrait en faire de même avec la prudence. Je connais des imprudents, ceux qu'on appelle vulgairement des inconscients. Je ne salue pas leur performances, je les trouvent souvent stupides et sans intérêt, à tendance dangereuses, pour eux, pour les autres... Bref, PAS BIEN !

En revanche, j'ai beaucoup moins souvent rencontré des gens chez qui la prudence devenait un frein considérable à la vie quotidienne. Enfin, c'est ce que je pensais, jusqu'au jour où j'ai découvert que j'en avais un sous le nez depuis des années. Mais du plus loin que je me souvienne, je parle ici d'un homme qui a toujours été raisonnable, mais pas planqué derrière cette espèce d'angoisse que crée le trop plein de prudence. 

Si vous placez un enfant dans un milieu trop protégé, comment fera-t-il pour apprendre la prudence nécessaire à sa propre sécurité ? Je suis mère. Et je protège mon enfant contre les dangers que j'estime être réels. Au delà de ça, je le laisse faire ses expériences, tomber, se râper les genoux, tester ses limites et découvrir en douceur la sensation de peur qui nous protège des actes qui nous mettent vraiment en danger. Et force est de constater que ça fonctionne, car mon enfant est bien vivant, prudent et dégourdi. 

Tout est toujours histoire de contexte, mais l'imprudence a parfois du bon ! Reste à définir ce qu'est l'imprudence pour chacun. 

Peut-on arrêter de voyager parce que la route est potentiellement dangereuse ? Doit-on renoncer à un objet parce qu'il a été source de douleur, une fois seulement ? Ne dit-on pas qu'il faut remonter à cheval quand on a chuté ?

Pour la personne dont je parle, la prudence est devenue un tel conditionnement qu'elle est un frein à la vie, à l'envie. Et l'ensemble de ses relations aux choses, aux objets, aux gens en est détériorée. La prudence a fait naître une peur inutile qui est source d'angoisse constante. Et à vouloir être prudent, cet homme se voit rongé par le stress que génère son comportement. Et si la prudence n'est pas toxique en elle même, l'angoisse l'est, à n'en pas douter. 

Si je vous parle de ça aujourd'hui, c'est parce que bon nombre de nos comportements "normaux" peuvent tourner au vinaigre et devenir de réel handicaps. Si je vous parle de ça aujourd'hui, c'est que, sans pour autant se donner corps et âme dans chacune de nos rencontres, la prudence ne doit pas devenir un frein à l'émotion, à la sensation, à l'échange. 

Je vois trop souvent des histoire de couples se ternir à cause d'une prudence camouflée sous un manque de confiance par exemple, en l'autre ou en soi-même. On est prudent parce que rien n'est sûr et rien ne dure. Pourquoi celui-ci ne serait-il pas le salaud de l'autre jour après tout... Alors on passe à coté de belles rencontres, de beaux moments, de belles amitiés, parce qu'être imprudent aujourd'hui revient à être soi, sans fard et sans masque. Et la prudence mène à la peur... Et la peur est le pire venin dont peut écoper une relation d'humain à humain.

Alors... Restez prudents de ne pas trop l'être !



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